le mentir, beaucoup plus que le rire, est le propre de l'homme
En effet, la notion de "mensonge" présuppose celle de la véracité, dont elle est l'opposé et la négation, de même que la notion du faux présuppose celle du vrai. Or, les philosophies officielles des régimes totalitaires proclament unanimement que la conception de la vérité objective, une pour tous, n'a aucun sens ; et que le critère de la "Vérité" n'est pas sa valeur universelle, mais sa conformité à l'esprit de la race, de la nation ou de la classe, son utilité raciale, nationale ou sociale. ...Aussi dans leurs publications (même dans celles qui se disent scientifiques), dans leurs discours et, bien entendu, dans leur propagande, les représentants des régimes totalitaires s'embarrassent-ils très peu de la vérité objective. Plus forts que Dieu tout puissant lui-même, ils transforment à leur guise le présent, et même le passé. On pourrait en conclure - et on l'a fait parfois que les régimes totalitaires sont au-delà de la vérité et du mensonge.
Nous croyons, pour notre part, qu'il n'en est rien. La distinction entre la vérité et le mensonge, l'imaginaire et le réel, reste bien valable à l'intérieur même des conceptions et des régimes totalitaires. C'est leur place et leur rôle seulement qui sont, en quelque sorte, intervertis : les régimes totalitaires sont fondés sur la primauté du mensonge.
La place du mensonge dans la vie humaine est bien curieuse. Les codes de morale religieuse, du moins en ce qui concerne les grandes religions universalistes, surtout celles qui sont issues du monothéisme biblique, condamnent le mensonge d'une manière rigoureuse et absolue. Cela se comprend du reste : leur Dieu étant celui de la lumière et de l'être, il en résulte nécessairement qu'il est aussi celui de la vérité. Mentir, c'est-à-dire, dire ce qui n'est pas, déformer la vérité et voiler l'être, est donc un péché ; et même un péché très grave, péché d'orgueil et péché contre l'esprit, péché qui nous sépare de Dieu et nous oppose à Dieu. La parole d'un juste, de même que la parole divine, ne peut et ne doit être que celle de la vérité.
Les morales philosophiques, quelques cas de rigorisme extrême, tels ceux de Kant et de Fichte, mis à part, sont, généralement parlant, beaucoup plus indulgentes. Plus humaines. Intransigeantes en ce qui concerne la forme positive et active du mensonge, suggestio falsi, elles le sont beaucoup moins en ce qui concerne sa forme négative et passive : suppressio veri. Elles savent que, selon le proverbe, "toute vérité n'est pas bonne à dire". Du moins pas toujours. Et pas à tout le monde.
Beaucoup plus que les morales à base purement religieuse, les morales philosophiques tiennent compte du fait que le mensonge s'exprime en paroles, et que toute parole s'adresse à quelqu'un. On ne ment pas "en l'air". On ment - comme on dit, ou ne dit pas, la vérité - à quelqu'un. Or, si la vérité est bien "la nourriture de l'âme", elle est surtout celle des âmes fortes. Elle peut être dangereuse aux autres. Du moins à l'état pur. Elle peut même les blesser. Il faut la leur doser, la diluer, l'habiller. En outre, il faut bien tenir compte des conséquences, de l'usage qu'en feront ceux à qui on la dira.
Là encore l'analyse précise nous amènerait bien trop loin. Grosso modo on peut constater que le mensonge est toléré tant qu'il ne nuit pas au bon fonctionnement des relations sociales, tant qu'il ne "fait de mal à personne11"; il est permis tant qu'il ne déchire pas le lien social qui unit le groupe, c'est-à-dire, tant qu'il s'exerce non pas à l'intérieur du groupe, du "nous", mais en dehors de lui, on ne trompe pas les "siens"; quant aux autres12... ma foi, ne sont-ils pas justement "les autres" ?
Le mensonge est une arme. Il est donc licite de l'employer dans la lutte. Il serait même stupide de ne pas le faire. A condition toutefois de ne l'employer que contre l'adversaire et de ne pas la tourner contre les amis et alliés.
Le mensonge n'est pas, généralement parlant, recommandé dans les relations pacifiques. Pourtant (l'étranger étant un ennemi potentiel), la véracité n'a jamais été considérée comme la qualité maîtresse des diplomates.
Le mensonge est, plus ou moins, admis dans le commerce : là encore les mœurs nous imposent des limites qui ont tendance à devenir de plus en plus étroites14. Toutefois les mœurs commerciales les plus rigides tolèrent sans broncher le mensonge avoué de la réclame.
Le mensonge reste donc toléré et admis. Mais justement... il n'est que toléré et admis. Dans certains cas. Il reste exception, comme la guerre, lors de laquelle, seule, il devient juste et bon d'en user.
Mais si la guerre, d'état exceptionnel, épisodique, passager, devenait un état perpétuel et normal ? Il est clair que le mensonge, de cas exceptionnel, deviendrait lui aussi, cas normal, et qu'un groupe social qui se verrait et se sentirait entouré d'ennemis, n'hésiterait jamais à employer contre eux le mensonge. Vérité pour les siens, mensonge pour les autres, deviendrait une règle de conduite, entrerait dans les mœurs du groupe en question.
Nous croyons, pour notre part, qu'il n'en est rien. La distinction entre la vérité et le mensonge, l'imaginaire et le réel, reste bien valable à l'intérieur même des conceptions et des régimes totalitaires. C'est leur place et leur rôle seulement qui sont, en quelque sorte, intervertis : les régimes totalitaires sont fondés sur la primauté du mensonge.
La place du mensonge dans la vie humaine est bien curieuse. Les codes de morale religieuse, du moins en ce qui concerne les grandes religions universalistes, surtout celles qui sont issues du monothéisme biblique, condamnent le mensonge d'une manière rigoureuse et absolue. Cela se comprend du reste : leur Dieu étant celui de la lumière et de l'être, il en résulte nécessairement qu'il est aussi celui de la vérité. Mentir, c'est-à-dire, dire ce qui n'est pas, déformer la vérité et voiler l'être, est donc un péché ; et même un péché très grave, péché d'orgueil et péché contre l'esprit, péché qui nous sépare de Dieu et nous oppose à Dieu. La parole d'un juste, de même que la parole divine, ne peut et ne doit être que celle de la vérité.
Les morales philosophiques, quelques cas de rigorisme extrême, tels ceux de Kant et de Fichte, mis à part, sont, généralement parlant, beaucoup plus indulgentes. Plus humaines. Intransigeantes en ce qui concerne la forme positive et active du mensonge, suggestio falsi, elles le sont beaucoup moins en ce qui concerne sa forme négative et passive : suppressio veri. Elles savent que, selon le proverbe, "toute vérité n'est pas bonne à dire". Du moins pas toujours. Et pas à tout le monde.
Beaucoup plus que les morales à base purement religieuse, les morales philosophiques tiennent compte du fait que le mensonge s'exprime en paroles, et que toute parole s'adresse à quelqu'un. On ne ment pas "en l'air". On ment - comme on dit, ou ne dit pas, la vérité - à quelqu'un. Or, si la vérité est bien "la nourriture de l'âme", elle est surtout celle des âmes fortes. Elle peut être dangereuse aux autres. Du moins à l'état pur. Elle peut même les blesser. Il faut la leur doser, la diluer, l'habiller. En outre, il faut bien tenir compte des conséquences, de l'usage qu'en feront ceux à qui on la dira.
Là encore l'analyse précise nous amènerait bien trop loin. Grosso modo on peut constater que le mensonge est toléré tant qu'il ne nuit pas au bon fonctionnement des relations sociales, tant qu'il ne "fait de mal à personne11"; il est permis tant qu'il ne déchire pas le lien social qui unit le groupe, c'est-à-dire, tant qu'il s'exerce non pas à l'intérieur du groupe, du "nous", mais en dehors de lui, on ne trompe pas les "siens"; quant aux autres12... ma foi, ne sont-ils pas justement "les autres" ?
Le mensonge est une arme. Il est donc licite de l'employer dans la lutte. Il serait même stupide de ne pas le faire. A condition toutefois de ne l'employer que contre l'adversaire et de ne pas la tourner contre les amis et alliés.
Le mensonge n'est pas, généralement parlant, recommandé dans les relations pacifiques. Pourtant (l'étranger étant un ennemi potentiel), la véracité n'a jamais été considérée comme la qualité maîtresse des diplomates.
Le mensonge est, plus ou moins, admis dans le commerce : là encore les mœurs nous imposent des limites qui ont tendance à devenir de plus en plus étroites14. Toutefois les mœurs commerciales les plus rigides tolèrent sans broncher le mensonge avoué de la réclame.
Le mensonge reste donc toléré et admis. Mais justement... il n'est que toléré et admis. Dans certains cas. Il reste exception, comme la guerre, lors de laquelle, seule, il devient juste et bon d'en user.
Mais si la guerre, d'état exceptionnel, épisodique, passager, devenait un état perpétuel et normal ? Il est clair que le mensonge, de cas exceptionnel, deviendrait lui aussi, cas normal, et qu'un groupe social qui se verrait et se sentirait entouré d'ennemis, n'hésiterait jamais à employer contre eux le mensonge. Vérité pour les siens, mensonge pour les autres, deviendrait une règle de conduite, entrerait dans les mœurs du groupe en question.